Quels sont nos droits face à la diffusion ou à la publication d'images prises en public?

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« Qu'est-ce que le droit à l'image au Québec? »
La question est souvent posée, mais rarement répondue, ou du moins correctement.

Je suis tombé, au hasard du web, sur un texte de Francis Vachon, un photographe-journaliste de la ville de Québec, dans lequel le côté légal semble clairement expliqué.

http://www.francisvachon.com/blog/le-droit-a-l’image-au-quebec/

Je reproduis ci-dessous l'article complet apparu sur son blogue le 15 avril 2009.
Bien sûr, tout le crédit lui revient...


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LE DROIT À L'IMAGE AU QUÉBEC
Qu’est-ce que le droit à l’image ?

• Est-ce que j’ai le droit de publier une photo d’un inconnu sur Internet sans son autorisation ?
• Est-ce que j’ai le droit de publier une photo d’un enfant photographié dans un lieu public ?
• Est-ce que j’ai le droit de photographier tel ou tel édifice ? À l’intérieur d’un centre d’achat ? La maison de mon voisin ?

Ces questions sont fréquemment répondues par des gens bien intentionnés, mais ayant malheureusement une connaissance limitée du sujet. Les réponses sont imprécises au mieux, et au pire inexacte.

Voici donc ce que dit la loi et la jurisprudence.

Décharge légale
Les informations qui suivent ont été colligées suite à mes années d’expérience en tant que photographe de presse, mes lectures, et une formation avec des avocats sur le sujet. Ceci n’est pas un document légal et son utilisation est à vos risques. En cas de doute, consultez un avocat.

Droit photographique – le concept de lieu public et lieu privé
Il est légal de prendre une photo de n’importe quoi et de n’importe qui, à condition que la photo soit prise alors que vous êtes dans un lieu public. Aucune autorisation n’est nécessaire. C’est ce qu’on fera APRÈS avec cette photo qui pourrait ne pas être légal (voir plus bas).
Le concept de lieu public comprend généralement tout ce qui appartient à la collectivité. Si vous êtes dans la rue, dans un parc, sur le trottoir, c’est légal.
Un agent de sécurité ne peut vous empêcher de prendre en photo l’édifice où il travaille si vous êtes dans la rue ou sur le trottoir. Par contre, si vous mettez le pied sur la pelouse de la propriété, ce n’est PLUS légal et vous pourriez être arrêté pour intrusion.
Il en est de même pour un policier. Il ne peut vous empêcher de prendre en photo un édifice, un accident, un incendie, une arrestation, à condition que vous soyez dans un lieu public, et à l’extérieur d’un éventuel périmètre de sécurité. En l’absence de ce dernier, vous ne devez pas entraver le travail de la police. Cela pourrait mener à votre arrestation.
Le terme « entrave au travail de la police » étant mal définie et pouvant laisser place à interprétation, il faut faire attention. Il peut être abusé autant par la police que par un photographe zélé.
Attention : Pour la plupart des concerts dans des lieux publics (festival d’été de Québec, festival « Juste pour rire », etc.), le gestionnaire responsable a en général l’autorité de transformer un lieu public en lieu temporairement privé. C’est pour cela qu’ils ont l’autorisation de fouiller les gens à l’entrée.
INVASION DE LA VIE PRIVÉE À PARTIR D’UN LIEU PUBLIC
Le droit de prendre une photo à partir d’un lieu public ne donne pas le droit d’abuser de la vie privée d’autrui. Prendre une photo d’une maison est une chose. Prendre une photo d’une maison à l’aide d’un puissant téléobjectif pour aller « chercher » une personne DANS la maison, à travers la fenêtre en est une autre et ne serait pas considéré comme légal.
LIEU PRIVÉ
Vous êtes dans une maison qui n’est pas la vôtre ? Dans un édifice à bureaux ? Dans le stationnement d’un commerce ? Vous êtes dans un lieu privé et devez avoir l’autorisation du propriétaire des lieux pour prendre des photos.
LIEU PRIVÉ OUVERT AU PUBLIC
Certains lieux sont ouverts librement au public, même s’ils sont en réalité privés. L’exemple le plus commun : les centres d’achats. Tous peuvent y entrer, mais ils demeurent tout de même un lieu privé et le propriétaire des lieux ou son gestionnaire doit vous donner l’autorisation pour que votre prise de photo soit légale.
D’autres lieux privés ouverts au public : un aréna ou un stade non municipal (Colisée Pepsi, Centre Bell), une salle de spectacle, une gare de train (Via Rail est une compagnie privée), etc.
Si l’on vous surprend à prendre des photos sans autorisation dans un lieu privé (ouvert ou non au public), le propriétaire ou gestionnaire pourrait vous expulser, mais ne pourrait s’en prendre à votre matériel ou à vos photos (voir « Droit à l’intégrité de vos photos et de votre matériel » plus bas).

Droit à l’image au Québec dans un cadre commercial
Pour toute utilisation COMMERCIALE, une personne reconnaissable sur la photo devra absolument avoir signé une décharge. ATTENTION : un signe distinctif tel qu’un tatouage peut être un élément suffisant pour identifier une personne. Le propriétaire de toute propriété (édifice, œuvre d’art, animal) visible et reconnaissable devra aussi avoir signé une décharge.

Droit à l’image des individus au Québec dans un cadre éditorial (et artistique)
ÉDITORIAL ?
Tout ce qui n’entre pas dans la catégorie commerciale entre en général dans la catégorie « éditorial ». Ce qui est publié dans un journal, une revue ou un site web pour illustrer une situation, rapporter une nouvelle d’actualité ou simplement « montrer » une scène de vie entre donc dans cette catégorie.
Le simple fait de « distribuer » la photo, peu importe la manière et le nombre de copies, devient une utilisation dans un cade éditorial.
Le fait de « faire de l’argent » ou non avec une photo ne change rien à cette définition et à son aspect légal. Publier une photo sur son blogue implique légalement les mêmes droits et devoirs que de publier une photo dans un journal.
De plus, le fait que la personne soit mineure n’influence en rien les implications légales de la photo.
ARTISTIQUE ?
Au niveau légal, une photo dite « artistique » est considérée comme une photo éditoriale. Le fait que la photo soit affichée dans une galerie d’art ou qu’elle soit réalisée grâce à une bourse pour artiste ne lui donne donc aucun « passe-droit » ou statut spécial.
CE QUI EST LÉGAL
Il est légal de publier dans un cadre éditorial toute photo d’un individu, même sans son consentement, si la photo a été prise dans lors d’un évènement d’intérêt public (en anglais, on dit « newsworthy »)
On peut classer les « évènements d’intérêt public » en deux catégories :
• Un inconnu plongé momentanément dans l’actualité. Par exemple, la victime d’un accident de la route ou d’un crime, un criminel, etc.
• Un inconnu créant de son plein gré l’actualité. L’exemple le plus commun serait un participant à une manifestation.
CE QUI N’EST PAS LÉGAL
La phrase à se rappeler est qu’il n’est pas légal de publier sans son consentement la photo d’un inconnu reconnaissable et étant le sujet principal de cette photo si celle-ci n’à pas été prise dans le cadre d’un évènement d’intérêt public.
Dans les faits, qu’est ce que cela veut dire ?
La jurisprudence n’est pas claire en ce qui a trait à la définition de « sujet principal ». Il est plus facile d’y aller par l’exemple :
• La photo d’un amuseur public avec une foule qui le regarde. Le sujet principal sera probablement l’amuseur public. Il faudra donc son consentement. Par contre, les gens dans la foule sont là « par hasard » dans la photo. Aucune autorisation n’est nécessaire. Par contre, si l’amuseur est là dans le cadre d’un événement public, comme le festival d’été de Québec, il s’agit alors d’un évènement d’intérêt public et le consentement de l’amuseur ne sera pas nécessaire.
• Un gros plan sur un jeune exprimant sa joie en regardant un amuseur public. Il faudrait le consentement du jeune (de son tuteur, en fait), mais pas de l’amuseur public qui est accessoire à la photo.
• Une photo d’un attrait touristique — un monument par exemple — avec des gens regardant le monument et/ou qui « passe » dans le cadre de la photo. Aucune autorisation n’est nécessaire, car le sujet est le monument et c’est par hasard que les gens y sont. Ils sont considérés comme « accessoire » à la photo (voir plus bas pour la légalité d’utiliser des édifices dans un cadre éditorial).
• Une photo d’un accident. Des gens regardent les ambulanciers prendre soin de la victime. Ni les ambulanciers, ni la victime, ni les « curieux » regardant la scène n’ont besoin de consentir. La victime et les ambulanciers sont considérés comme participant à un évènement d’intérêt public. Les curieux sont « accessoire » à la photo.
• Une scène de rue cocasse ou touchante, par exemple un jeune homme joignant les mains dans un parc : le consentement est nécessaire.
DROIT À L’IMAGE DES PROPRIÉTÉS DANS UN CADRE ÉDITORIAL
Le jugement Aubrie vs Vice-Versa ne concernant que le droit à l’image des individus, il n’y a pas encore de jurisprudence concernant le droit à l’image des édifices au Québec. Jusqu’à preuve du contraire, il est donc possible d’utiliser une photo montrant une propriété privée dans un cadre éditorial même si cette propriété en est le sujet principal et que le propriétaire n’a pas donné son consentement.
QU’EST-CE QUI EST CONSIDÉRÉ COMME UN CONSENTEMENT ?
L’idéal est évidemment un document signé. Il peut être très simple et ne mentionner qu’un très court « J’autorise [NOM DU PHOTOGRAPHE] à utiliser les photos de moi prises le [DATE] à des fins non commerciales », suivi de la signature du/des sujet(s). Ceci peut par contre être une gestion lourde que d’avoir ainsi à traîner, classer et archiver des décharges.
Personnellement, j’utilise la fonction d’enregistrement audio de mon appareil photo (disponible sur les boîtiers « pros » tels que Canon 1D ou Nikon D3).
L’enregistrement sonore de la personne alors qu’elle se nomme et épelle son nom au besoin est suffisant.
En théorie, une entente verbale est suffisante. Avoir un témoin est un plus. Mais en cas de litige…
Le consentement peut aussi être implicite. Par exemple, un journaliste se présentant comme tel interview un inconnu, parce qu’il est témoin d’un accident ou dans le cadre d’un vox pop. En même temps, un photographe le prend en photo. Même s’il n’a pas officiellement consenti par écrit ou verbalement, tout être humain normalement intelligent devrait comprendre que la photo à de forte chance de se retrouver dans le journal. Le fait de ne pas avertir le photographe qu’il refuse à ce qu’une photo soit publiée devient automatiquement une acceptation implicite à la publication.

Section bonus
ENTRAVE À LA CIRCULATION
Même si vous avez le droit de prendre des photos dans un lieu public, cela ne veut pas dire que vous avez le droit de bloquer une rue pour autant.
Le trépied ou l’installation de flashes sur des supports à lumière pourrait être problématique, particulièrement dans les lieux très fréquentés tels que des trottoirs ou des parcs achalandés. Dans ces cas particuliers, une autorisation de la Ville ou de l’organisme qui gère les lieux pourrait être nécessaire.
DROIT À L’INTÉGRITÉ DE VOS PHOTOS ET DE VOTRE MATÉRIEL
Un agent de sécurité ou un policier NE PEUT PAS saisir votre matériel sans votre consentement ou sans un mandat. Comme un mandat ne peut être obtenu que par un policier, en aucun cas un agent de sécurité n’aura le droit de saisir votre matériel. Si cela arrivait, vous pourriez appeler la police et porter plainte pour vol. Cela est vrai MÊME si vous avez pris des photos dans un lieu privé sans autorisation.
Dans des cas extrêmes où vous seriez introduit par effraction dans un lieu interdit, un agent de sécurité pourrait par contre vous retenir contre votre gré en attendant l’arrivée de la police.
La police peut confisquer votre matériel SEULEMENT EN POSSESSION D’UN MANDAT. Par contre, si la police vous arrête, elle prendra évidemment possession de votre équipement. Certains policiers pourraient utiliser « L’entrave au travail des policiers » pour vous arrêter et prendre votre matériel.
Il est illégal pour un policier ou un agent de sécurité de vous forcer à supprimer vos photos ou de le faire lui-même. Il s’agirait de destruction de propriété privée, ce qui est un acte criminel. Ceci est vrai MÊME si vous avez pris des photos dans un lieu privé sans autorisation.
Par contre, l’utilisation de ces photos prises dans un lieu privé sans autorisation serait évidemment problématique…
Il a été constaté à quelques reprises par des photographes ayant été arrêtés que des photos avaient été supprimées alors que la police avait la garde de leur appareil. C’est illégal, mais malheureusement difficilement prouvable.
LES PALAIS DE JUSTICE
À la suite de certains procès devenus des cirques médiatiques, la prise de photo dans les palais de justice a été réglementée. Il n’est possible de prendre des photos seulement si vous êtes dans une des zones désignées. En cas de doute, demandez à un agent de sécurité qui vous indiquera la localisation de ces zones. Attention aux ordonnances de non-publication ! Ce n’est pas parce que vous avez le droit de prendre la photo que vous avez le droit de montrer le visage de tout le monde.

À clarifier
Le statut du métro de Montréal n'est pas clair. J'ai personnellement pris des photos dans des stations de métro à la vue d'un agent de sécurité sans aucun problème. D'autres ont rapporté s'être fait harceler par ceux-ci, et d'autres ont mentionné qu'il est possible de se procurer une autorisation au service à la clientèle de la STM à Berri-UQAM.

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Bien sûr, il est possible de se référer directement à la Charte des droits et libertés de la personne (LRQ, c C-12), de passer quelques semaine à décortiquer le Code criminel (LRC 1985, c C-46), ou de se plonger dans la lecture d'une décision rendue par la Cour suprême du Canada en 1998, connue sous le nom de « Aubry c. Éditions Vice-Versa inc. » (numéro de dossier 25579) :

Le jugement de la Cour suprême renvoie à plusieurs références :

Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 8.
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C‑12, art. 3, 4, 5, 9.1 [ad. 1982, ch. 61, art. 2], 44, 49.
Code civil du Bas Canada, art. 1053, 1073.
Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 36.
Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C‑25, art. 477, al. 1.
Tarif des honoraires judiciaires des avocats, R.R.Q. 1981, ch. B‑1, r. 13, art. 15.
 
Doctrine citée
Caron, Madeleine.  « Le Code civil québécois, instrument de protection des droits et libertés de la personne » (1978), 56 R. du B. can. 197.
Chevrette, François.  « La disposition limitative de la Charte des droits et libertés de la personne:  le dit et le non‑dit » (1987), 21 R.J.T. 461.
Deleury, Édith, et Dominique Goubau.  Le droit des personnes physiques, 2e éd.  Cowansville, Qué.:  Yvon Blais, 1997.
Glenn, H. Patrick.  « Le droit au respect de la vie privée » (1979), 39 R. du B. 879.
Kayser, Pierre.  La protection de la vie privée, 2e éd. Paris:  Économica, 1990.
Nerson, R.  Les droits extrapatrimoniaux.  Paris:  L.G.D.J., 1939.
Perret, Louis.  « De l’impact de la Charte des droits et libertés de la personne sur le droit civil des contrats et de la responsabilité au Québec » (1981), 12 R.G.D. 121.
Potvin, Louise.  La personne et la protection de son image:  étude comparée des droits québécois, français et de la common law anglaise.  Cowansville, Qué.:  Yvon Blais, 1991.
Québec.  Assemblée nationale.  Journal des débats:  Commissions parlementaires, 3e sess., 32e lég.  Commission permanente de la justice, Étude des projets de loi nos 101, 219, 260, 254, 262, 269, 278, 221 et 86 ‑‑ Loi modifiant la Charte des droits et libertés de la personne, 16 décembre 1982, no 230, p. B‑11609.
Ravanas, J.  La protection des personnes contre la réalisation et la publication de leur image.  Paris:  L.G.D.J., 1978.
Vallières, Nicole.  La presse et la diffamation.  Montréal:  Wilson & Lafleur, 1985

Bonne lecture!
© Jean-François Landry 2022